Dramaturge et Metteur en scène
Comment êtes-vous venu au théâtre ?
Je suis né au Togo et je ne me destinais pas du tout à faire du théâtre. J’ai l’habitude de dire que je ne suis pas venu au théâtre, c’est le théâtre qui est venu à moi. J’avais une grand-mère, qui me racontait beaucoup d’histoires, de contes. Enfant, je voulais être une grand-mère, parce que pour moi, il fallait être grand-mère pour raconter des histoires. Finalement, c’est le théâtre qui s’est imposé, parce que j’ai fait des rencontres littéraires, qui m’ont marqué. Je me souviens d’une phrase de Césaire, que j’ai lu à 16 ans : « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche et ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». J’aimais déjà bien écrire, mais pour la première fois, je me suis dit que je pourrais écrire des textes destinés aux autres.
A côté, j’ai fait du théâtre en amateur au collège, au lycée puis à la fac de droit. C’était important, car ayant grandi sous une dictature, à l’adolescence, j’ai vécu les révoltes populaires et parmi les étincelles de cette révolte, il y avait des gens qui faisaient du théâtre. Un théâtre engageant, où on parlait de politique, de la société, alors qu’on avait absolument aucune liberté de parole ou de pensée. Il m’est apparu comme un espace formidable de liberté et ça m’a donné envie d’écrire du théâtre. Cela m’a aussi donné l’opportunité de voyager en Afrique et en Europe, et puis un jour je me suis dit « et bien tu n’es plus en train de faire des études de droit, tu fais du théâtre ».
Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier ?
Je parlerais de ma première pièce de théâtre « catharsis », qui a été mon acte de naissance au monde. Ma naissance officielle, je n’y ai pas consciemment « contribué » ; et je pense qu’à un moment, on doit se poser la question : quels sens on donne à sa vie ? Je suis né en Afrique, un continent que l’on dit sous-développé, émergeant ou en voie de développement selon les évolutions du politiquement correcte… Tu nais déjà quelque part, où on te dit que tu es en dessous et en plus dans une dictature. Tout cela me déprimait énormément. Adolescent, j’avais lu un livre sur le suicide rituel des sikhs en Inde et je me suis posé la question d’habiter la vie ou pas. Dans les sociétés traditionnelles les rituels initiatiques sont importants, même s’ils peuvent être dangereux, car quand tu en es sorti, tu sais pourquoi tu vis. Écrire catharsis a été pour moi une manière de faire le point, de faire le choix de la vie. D’ailleurs la pièce se termine par un accouchement.
Racontez-nous votre rencontre avec le centre dramatique Kokolampoe.
Ma rencontre avec le Centre dramatique, c’est venu par Ewlyne Guillaume, qui en découvrant mes pièces a eu envie de les monter. Elle a vu dans les sujets abordés et ma manière de travailler la langue, une possibilité que ça résonne fort ici. Il existe un lien entre les anciennes colonies françaises, restées dans la France ou affranchies, dont on ne parle pas dans l’histoire générale transmise. La colonisation a été un choc violent entre une Afrique, qui était sur sa propre lancée et l’Occident. Et ce lien se retrouve dans la question du métissage par exemple. Les mythes, les cultures africaines, les savoir-faire africains, on commence à peine à les redécouvrir. Il y a eu comme un trou dans l’histoire. Je crois qu’il y a aussi quelque chose de cet ordre ici, de cette violence qui n’est pas encore catharsisée.
Ça m’a marqué, lorsque j’ai rencontré les comédiens, qui ont joué la première de mes pièces montées ici « à petites pierres ». Dans cette pièce, à partir de l’imaginaire nouchi, j’ai travaillé une langue française, ivoirienne, très créolisée. J’ai été très touchée que ça leur parle, cette construction, cette manière de tordre la langue. Mais aussi dans les sujets qui sont abordés : la confrontation entre tradition et société contemporaine, les pulsions de vie de la jeunesse en butte au statu quo des anciennes générations, tout cela parlait individuellement aux comédiens. J’en suis encore très ému.
Quels sont vos projets pour 2021 ?
Évidemment, car le covid a bouleversé plein de choses. Lors du premier confinement, j’étais à Paris et cela m’a fait du bien. J’étais avec ma famille et je me suis ressourcé. Je ne me posais pas la question de l’écriture. Mais après, j’ai eu une vraie panne d’écriture, parce que je me demandais : « à quoi bon écrire ? » Comme si tout était vain. Heureusement que j’avais des projets avec d’autres personnes. Notamment un projet sur la diversité, sous forme de fausse conférence. Nous sommes trois écrivains sur ce projet. Il avait été décalé l’an dernier, mais nous avons quand même pu jouer devant un public de professionnels en décembre. Les retours ont été positifs, mais avec la situation sanitaire, plusieurs dates ont déjà été annulées ou reportées. Je travaille également sur un roman pour ado. C’est la suite de la véridique histoire du petit chaperon rouge : la véridique histoire des ogres, faisant écho à tout ce qui se passe en ce moment.
On navigue tous un peu à vue et je suis assez inquiet ; ne serait-ce que par rapport à ce débat, qui n’a aucun sens, sur ce qui serait essentiel ou non. Peu importe ce que l’on pense, une graine a été semée dans l’esprit des gens. En même temps, cette inquiétude, c’est bon signe, parce que ça veut dire que j’ai envie de me battre et de rester debout.